Rue de la Monnaie

L’Escalade de 1602, une des quatre dates-­clés de l’histoire de l’Eglise protestante de Genève

Récit de la délivrance de Genève en 1602, d’après les Archives de l’Eglise protestante de Genève :

Après de longues guerres entre le roi de France Henri IV, Philippe III d’Espagne et le duc de Savoie Charles Emmanuel, la paix est signée à Lyon.
Mais le Duc de Savoie, jaloux de la position parfaitement libre et indépendante de Genève, et inquiet de la lumière que la Réforme apporte dans ses murs, ne renonce pas à l’espoir de prendre la ville et d’en faire une ville savoyarde et catholique.
Il forme alors, à l’insu de tout le monde, le projet de s’emparer de notre ville et concentre ses troupes à Bonne, à la Roche et à Bonneville ; et choisissant la nuit la plus noire de décembre, il les fait marcher sur Genève, sous le commandement du Sieur d’Albigny. Les compagnies d’élite s’approchent des murailles, comblent un fossé, dressent des échelles, et escaladent sans bruit les remparts.
Dans la cité, tout dort.
Mais un invisible gardien veille sur Genève.
Avant que les assaillants soient en nombre suffisant pour envahir les rues et ouvrir les portes au gros de l’armée ennemie, Dieu permet qu’on les découvre…Bientôt, le tocsin sonne ; les dormeurs se réveillent ; les citoyens, à peine vêtus, courent à leurs places d’armes. Les femmes vaquent à prières et oraisons, tandis que leurs maris et leurs fils combattent avec énergie. Toutes et tous savent bien qu’ils luttent non seulement pour leurs familles et leurs foyers, mais aussi pour la liberté qu’ils ont d’entendre l’Evangile.
Bien avant le lever du soleil, ils ont la victoire. Sans doute, seize des leurs sont tombés et deux mourront des suites de leurs blessures, mais la ville est sauvée : Genève est libre.
Réalisant le merveilleux de cette délivrance, le secrétaire d’Etat ne peut s’empêcher d’écrire dans le Registre du Conseil : « Ils commencèrent à faire leur exécution, Dieu commença aussi à besogner pour nous, ses pauvres enfants… », et le secrétaire de la Compagnie des pasteurs termine son récit par ces mots : « Genève se souviendra à jamais de la suprême bonté de Dieu, qui l’a tirée d’un si grand danger et ruine totale, par sa seule main ».

Chaque année un service œcuménique est célébré à la cathédrale en mémoire de cet événement (voir Cathédrale Saint-Pierre).

Développement historique

Catherine Cheynel dite La Mère Royaume

Fuyant les massacres de la Saint-Barthélémy, Catherine (environ 1542-1608) et Pierre Royaume, tous deux issus d’une famille de potiers d’étain, s’enfuient de Lyon et viennent s’établir à Genève.

En 1588, Pierre accède au poste important de graveur de la Monnaie de la République et le couple et leurs nombreux enfants s’installent alors dans le logement de fonction au-dessus de la Porte de la Monnaie et acquiert la bourgeoisie de Genève quelques années plus tard.

Selon la tradition, la Mère Royaume aurait contribué à défendre la cité lors de l’Escalade en jetant de sa fenêtre un pot sur les soldats ennemis, les mettant du coup en déroute, toutefois aucun récit contemporain de ces événements n’évoque ce geste.

Les années passent, le geste anonyme ressurgit peu à peu par exemple dans la célèbre chanson du Cé qu’è lainô ou encore dans des gravures comme celle de François Diodati (voir image annexée)

Et ce n’est qu’au XVIIIème siècle que cette courageuse femme est identifiée comme étant Catherine Cheynel, épouse de Pierre Royaume, celle qui habitait réellement au-dessus de la Porte de la Monnaie où avaient eu lieu d’importants combats.

Elle deviendra une véritable héroïne dans la seconde moitié du XIXème siècle, lorsque Genève construira son identité sur son passé héroïque et fera alors de l’Escalade sa fête patriotique.

Et depuis la popularité de Catherine Royaume n’a cessé de grandir ; même si son arme pour mettre en déroute les ennemis de la République est dérisoire et fait sourire, cette femme venue d’ailleurs incarne désormais l’histoire de la mémoire et de l’identité genevoise.

Une marmite pour dire sa fidélité à son passé et son plaisir de s’amuser

Au fil du temps, l’image guerrière du pot de fer de la Mère Royaume est remplacée par une marmite que l’imaginaire remplit généreusement d’une soupe aux légumes. Puis les confiseurs, en s’emparant à leur tour et depuis fort longtemps de cette dernière, ont indéniablement contribué à assurer la célébrité de ce symbole en le mettant chaque année à l’honneur dans leurs vitrines au début du mois de décembre, sous forme de marmites en chocolat garnies de légumes en massepain et de pétards en sucre et toujours parées des attributs patriotiques genevois.

Dès lors, la marmite de l’Escalade, connue même au-delà des limites genevoises, fait la joie de tous ceux qui se rencontrent expressément pour la briser vigoureusement en faisant référence à la débâcle des anciens ennemis de la République (!) … avant de s’en régaler.

Par ailleurs, la marmite a encore vu grandir sa popularité à partir de 1991, année où les organisateurs de la célèbre course de l’Escalade l’ont mise à l’honneur. La Marmite est une course non compétitive où l’esprit de famille, l’amitié et l’humour sont prioritaires.

Décidément, la marmite de la Mère Royaume n’est pas prête de tomber dans l’oubli des genevoises et genevois !

NB. La course de l’Escalade est une course populaire qui a lieu chaque année au début décembre en ville de Genève. A ce jour, elle attire près de 40.000 participants amateurs et professionnels de tous âges, représentant plus de 40 pays. Notons que quelque dix ans après la première édition de la Marmite, celle de la course du Duc a été inaugurée ; elle offre aux participants l’opportunité de courir de nuit sur le parcours emprunté jadis par les troupes du Duc de Savoie venant attaquer Genève.

Une Compagnie pour perpétuer la commémoration de l’Escalade

Fondée en 1926, la Compagnie 1602 est aujourd’hui la plus grande société historique de Suisse, regroupant plus de 2500 citoyens genevois, confédérés, étrangers, hommes, femmes, enfants de tous âges, sans distinction d’appartenance religieuse ou politique.

Chaque année elle organise en vieille-ville la reconstitution de scènes vivantes de la Genève de 1602 et fait défiler quelque 800 membres costumés à pied ou à cheval, en un impressionnant cortège, réputé être le plus grand défilé historique d’Europe.

La commémoration, solennelle et historique, qui s’achève autour d’un feu de joie sur les parvis de la cathédrale Saint-Pierre, connaît chaque année un grand engouement populaire pour plusieurs dizaines de milliers de spectateurs qui se déplacent malgré les frimas hivernaux pour admirer cette fresque magique pour petits et grands.

(Sources et ouvrages consultés : Les femmes dans la mémoire de Genève du XVe au XXe siècle, collectif sous la direction d’Erica Deuber Ziegler et Natalia Tikhonov, Etat de Genève et éd. Hurter, 2005 – Archives de l’Eglise Protestante de Genève et Archives de la Compagnie 1602)

Passage de la Monnaie, 1204 Genève

En image

A découvrir également

Cathédrale Saint-­Pierre

Liens

Bibliographie

  • Mottu-Weber, Liliane, Piuz Anne-Marie, Lescaze, Bernard, Vivre à Genève autour de 1600, Slatkine, 2002
  • Fatio, Olivier, Nicollier, Béatrice, Comprendre l’Escalade, essai de géopolitique genevoise, Genève, 2002
  • Walker, Corinne, 2002, La Mère Royaume, figure d’une héroïne  XVII-XXIème siècle (tout sur la dégustation de la soupe aux légumes et de la marmite en chocolat)

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